Difficultés à recruter : coup de gueule d’une pharmacienne (interview)

  • 02.01.2023
  • Article de blog

Difficultés à recruter : coup de gueule d’une pharmacienne (interview)

Le 14 décembre 2022, la pharmacienne Virginie de Cara de la Pharmacie Saint Gilles à Pierres dans l’Eure-et-Loir publie un message sur notre groupe Facebook (lire le message ici). A ce jour, plus de 13’000 personnes ont lu cette annonce d’emploi qui ressemble à un coup de gueule illustrant la difficulté de recruter en pharmacie d’officine. Pharmacienne titulaire depuis 2012, Virginie de Cara estime que lorsque le personnel se sent bien, tous ses patients et clients le ressentent. Son but est de faire entendre sa voix aussi forte que possible. Pharmapro.fr a pu lui poser quelques questions début janvier 2023.

Pharmacie Saint Gilles à Pierres (28)


Pharmapro.fr
– Votre poste a été extrêmement lu (presque 14’000 lectures au 2 janvier 2023), selon moi peut-être un record de lectures en 2022 sur notre groupe Facebook, avez-vous été surprise par une telle audience ? On sent que cela vient du cœur…

Mme Virginie de Cara – J’ai été effectivement très surprise du succès de mon post. Je suis une personne très sensible et empathique. J’ai retransmis ce que je ressens en ce moment au sein de mon équipe. Après avoir essayé une annonce classique, je souhaitais partager mon agacement face au manque de personnel et surtout face au manque d’enthousiasme de beaucoup de diplômés. Beaucoup ne souhaitant travailler que 4 jours par semaine, si possible sans mercredi ni samedi et en ne faisant jamais de fermeture (j’exagère un peu certes mais pas tant que ça).

Vous commencez par parler de coup de gueule, voire même de désespoir… Si je vous lis bien c’est surtout le recrutement de pharmaciens qui semble « impossible » en 2023 ?
Les pharmaciens ne veulent plus de responsabilité. Ils ne veulent pas, non plus, d’engagement. Je vois beaucoup de demandes de remplacements de courte durée et très souvent sur Paris ou sur les îles… D’autres préfèrent s’engager uniquement dans de grosses structures. Il est vrai que je peux le concevoir un peu. Je dis souvent qu’en tant que titulaire, je travaille dans une prison dorée… Nous n’avons plus la main en tant qu’employeurs…

Si on lit des articles récents du Figaro (fin 2022), on se rend compte qu’il y a un manque d’étudiants en pharmacie pour renouveler le personnel des environ 20’000 pharmacies de France. Comment rendre, selon vous, la profession plus attractive ?
Je ne sais pas vraiment comment rendre notre profession plus attractive. Je peux juste vous dire les impressions que j’ai depuis le Covid.
Nous sommes appréciés quand il n’y a pas le choix (confinement par exemple). Mais nous sommes aussi les premiers pris à parti. Certains ont pensé et pensent toujours que nous profitons de la situation. Nous sommes devenus les pantins de l’état sans aucun pouvoir de décisions. On nous demande toujours plus mais on ne nous donne pas forcément les moyens d’y arriver.
Les petites structures ne peuvent pas s’en sortir. Je pense qu’il faudrait peut être renforcer le lien médecin / pharmacien afin de nous laisser plus de responsabilités et que les médecins aient plus confiance en nous. J’apprécie beaucoup les protocoles de coopération même si ce n’est que le début par exemple.

Même si on rend la profession plus attractive et on communique à ce sujet, cela prendra peut-être 10 ans pour stabiliser la situation. Que faire selon vous concrètement et maintenant ou ces 5 prochaines années pour résoudre ce sérieux problème de manque de personnel dans les pharmacies française ? (idée, faire venir des pharmaciens d’autres pays, ex. Maghreb, Roumanie, etc.)…
Je ne suis pas contre les pharmaciens étrangers à condition que leur Français soit de bonne qualité. J’ai eu beaucoup de demande de Tunisien et autres (ndlr : suite au post sur le groupe Facebook de Pharmapro.fr). Il y en a que je ne comprenais pas et d’autres avaient un français approximatif. Dans ce cas, je pense que ça serait une grosse problématique pour nos patients…
Après pour les autres, une simplification des démarches d’équivalence pourraient être une bonne idée. Par contre je serai tout à fait partante pour donner des responsabilités à des préparateurs en pharmacie qui auraient suffisamment d’expérience ou un niveau d’étude intermédiaire… Ce qui pourrait répondre à la question suivante…

Justement, la problématique du manque de pharmacien semble assez médiatisée (ex. France 2, Le Figaro…) mais il me semble qu’on parle moins des préparateurs en pharmacie. Comment résoudre le problème aussi du manque de personnel, en particulier loin des grandes villes ?
Le métier de préparateur en pharmacie est très peu valorisé. Le DEUST est une belle avancée mais fait aussi peur à certaines personnes. Dans mon idéal, je verrai garder :
1- un BP préparateur pour pouvoir former ceux qui ne se sentent pas capable d’aller à la fac.
2- et un DEUST ou autre pour former des cadres qui auraient des responsabilités intermédiaires entre préparateur et pharmacien.

Finalement, pour ceux qui connaissent un peu moins la politique et l’administration française, pouvez-nous expliquer ce que sont concrètement la prime d’intéressement, la prime Macron et la « PEE abonde à 300% » que vous mentionnez dans votre post Facebook.
La prime d’intéressement est un accord d’entreprise. Une prime versée selon des conditions préétablies et pouvant variée suivant la marge de l’entreprise. Cette prime peut être versée en numéraire ou sur un PEE (plan Epargne entreprise). Le PEE est non imposable mais bloqué sur 5 ans. Chaque entreprise choisit son taux d’abondement pouvant aller jusqu’à 300%. Personnellement si mon salarié met par ex 300€, je mets 900€ en plus soit 1200€ en tout (moins la CSG).

Mme Virginie de Cara, merci pour vos réponses. L’interview a été réalisée début janvier 2023, elle a été légèrement éditée pour en simplifier la lecture. Date de publication : le 2 janvier 2023. Supervision finale : Xavier Gruffat (pharmacien).
Crédit photo : divulgation, site Internet de la pharmacie